«Les islamistes dénoncent l'islamophobie en Europe... mais pas en Chine»

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FIGAROVOX/TRIBUNE - Prompts à appeler la communauté internationale à lutter contre l'islamophobie, les pays islamiques sont pour le journaliste Yves Mamou trop silencieux sur la terrible rééducation des musulmans mise en place par le régime chinois. Preuve selon lui d'une erreur stratégique de la part des démocraties occidentales.

 Yves Mamou est un ancien journaliste du Monde. Il a également collaboré au Canard Enchaîné, à Libération et à La Tribune. Collaborateur régulier du site américain The Gatestone Insitute, il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Le Grand abandon. Les élites françaises et l'islamisme (éd. L'Artilleur), paru le 25 septembre 2018.


Après l'attentat contre deux mosquées de Christchurch en Nouvelle Zélande, les pays musulmans n'ont pas tardé à donner de la voix contre les démocraties occidentales. Le 22 mars 2019, les représentants des pays membres de l'Organisation de coopération islamique (OCI) réunis à Istanbul ont enjoint la communauté internationale de prendre «des mesures concrètes» contre l'islamophobie. «Le carnage de Christchurch, ont-ils estimé, requiert des mesures concrètes, exhaustives et systématiques pour remédier à ce fléau» de l'islamophobie.

L'OCI a aussi exhorté les gouvernements du monde occidental à «garantir la liberté de culte» des musulmans et à «ne pas chercher à restreindre leurs droits et libertés».

La requête des pays membres de l'OCI est peut-être audible et - pourquoi pas? - recevable. Néanmoins, une question se pose: pourquoi ces mêmes pays musulmans restent-ils silencieux face au quasi-ethnocide qui frappe les musulmans en Chine? Plus de 12 millions de Ouighours, des Chinois musulmans, sont aujourd'hui assignés à résidence dans leur province du Xinjiang. Plus d'un million de ces Ouighours sont embastillés dans - ce que les photos satellites révèlent être - un authentique système concentrationnaire. Les autorités chinoises qui ont d'abord nié les faits, reconnaissent aujourd'hui l'existence de «centres de formation» destinés à corriger les «trois forces du mal»: l'extrémisme, la radicalisation, et le terrorisme. Les témoignages recueillis par les ONG et par la presse auprès de quelques rescapés laissent penser qu'un authentique goulag antimusulman a été mis en place par les autorités chinoises. Le lavage de cerveau, la torture et les coups sont des pratiques de masse. Sous peine de mort, des centaines de milliers d'activistes musulmans sont contraints de manger du porc, boire de l'alcool, chanter les louanges du Parti communiste chinois (PCC) et dénigrer l'islam.

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Ni l'Iran, ni la Malaisie, ni le Pakistan, ni l'Arabie Saoudite, ni l'Indonésie ni aucun des 49 pays à majorité musulmane n'a émis de protestation face aux agissements chinois.

Les pays membres de l'OCI, si réprobateurs envers les actes d'un forcené blanc néo-zélandais assassin de cinquante musulmans, demeurent étrangement muets face aux exactions de masse de l'État chinois. Pourquoi cet étrange deux poids, deux mesures? Aurait-il échappé aux chancelleries islamiques qu'à Christchurch, elles avaient affaire à un acte isolé, condamné en chœur par l'ensemble des pays occidentaux? N'auraient-elles pas saisi que ce qui se jouait en Chine relevait d'une politique d'État authentiquement criminelle?

Ni l'Iran, ni la Malaisie, ni le Pakistan, ni l'Arabie Saoudite, ni l'Indonésie ni aucun des 49 pays à majorité musulmane n'a émis de protestation face aux agissements chinois. La Turquie a bien esquissé quelques remontrances, mais l'arrestation et la détention arbitraire de plusieurs chefs d'entreprises turcs en voyage d'affaires en Chine a servi de message. Désormais, Ankara réserve ses foudres à l'Union européenne et à Israël.

 

En septembre 2018, le Pakistan a bien émis lui aussi quelques réserves mais celles-ci n'ont jamais fait l'objet d'une notification officielle. Mieux, les dirigeants pakistanais affirment désormais que la situation des Ouighours en Chine a été «sensationnalisée» par les médias occidentaux. Quant à la petite minorité ouighour du Pakistan, elle fait désormais l'objet d'une surveillance policière renforcée… au Pakistan. La Chine aurait-elle fait comprendre au Pakistan qu'elle supporterait mal l'émergence d'une quelconque guérilla de soutien à la frontière sino-pakistanaise? Il est vrai que Pékin a des arguments. La Chine a investi un total de plus de 40 milliards de dollars dans le China-Pakistan Economic Corridor (CPEC)—un réseau de routes, pipelines, usines électriques, parcs industriels et ports dans le but d'accroître les liens économiques entre les deux pays. Le Pakistan, qui a 40 % de sa jeunesse au chômage, espère que des créations d'emploi naîtront des investissements chinois. La république islamique du Pakistan en a conclu que son intérêt n'était pas de susciter l'ire du bienfaiteur chinois.

Le gouvernement indonésien a abordé la question des Ouighours à l'occasion d'un débat parlementaire. Mais Youssouf Kalla, Vice-Président indonésien, a conclu par un laconique: «nous condamnons toutes les violations des droits de l'homme, mais il n'est pas convenable de s'immiscer dans les affaires intérieures d'un autre pays».

En février, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane à la veille d'un voyage officiel en Chine, a reconnu à la «Chine le droit de lutter contre le terrorisme et l'extrémisme ainsi que le droit d'assurer sa sécurité intérieure.» Le mot Ouighour n'a pas été prononcé, mais la reprise mot pour mot par Mohammed ben Salmane des communiqués de la diplomatie chinoise concernant les Ouighours du Xinjiang ont été remarqués. Au Kazakhstan, les autorités ont récemment arrêté un important activiste islamiste du Xinjiang qui s'était cru autorisé à critiquer la répression du gouvernement chinois contre sa minorité ouighour.

Même l'Iran a détourné les yeux! Le Secrétaire d'État américain Mike Pompeo qui, aux yeux du monde musulman, passe pour un «islamophobe», s'est payé le luxe de moquer le guide suprême Khamenei qui «se prend pour le leader du monde islamique, mais reste suprêmement silencieux sur une Chine qui persécute des milliers de ses citoyens musulmans». Il est vrai que la Chine est ainsi l'un des rares pays qui ose braver l'embargo décrété par Donald Trump. Pékin fait une faveur à l'Iran en achetant son pétrole. Si Pékin tournait soudain le dos aux ayatollahs, leurs finances publiques en seraient définitivement asséchées.

Quoi qu'en dise l'OCI, la liberté religieuse des musulmans est assurée en Europe, alors que les non-musulmans sont persécutés dans bon nombre de pays où l'islam est la religion dominante.

Sans tirer un seul coup de canon, la Chine a donc fait taire l'ensemble du monde islamique. Une démonstration de force qui est source d'enseignements.

La première est que la mondialisation a fait rentrer les pays islamiques dans un monde d'interdépendance. En tant que fournisseurs de main-d'œuvre et d'hydrocarbures, ces pays islamiques ont des forces et des faiblesses. Jouer sur leurs faiblesses permettrait parfois de faire taire leurs récriminations religieuses, généralement infondées. Quoi qu'en dise l'OCI, la liberté religieuse des musulmans est assurée en Europe, alors que les non-musulmans sont persécutés dans bon nombre de pays où l'islam est la religion dominante. Les démocraties occidentales ont tort de détourner poliment le regard, car cela passe pour un acquiescement.

La seconde erreur des démocraties occidentales est de confondre la revendication religieuse islamique avec une manifestation d'agriculteurs en colère. Les Chinois eux, font le bon diagnostic: «Allahou Akbar» est bel et bien le cri d'une idéologie politique hégémonique qui s'oppose frontalement et partout à tous les types de pouvoirs non-fondés sur la charia. Bien entendu, le régime concentrationnaire que la Chine applique à l'islamisme est politiquement et moralement condamnable. Aucune démocratie ne peut agir de même sans y laisser son âme. Mais la politique d'apaisement et de concessions des démocraties occidentales - rappelons qu'Emmanuel Macron a même songé à réécrire la loi de 1905 qui fonde la séparation de l'Église et de l'État - pourrait aussi aboutir au même résultat.

La troisième erreur des démocraties occidentales est de ne pas défendre les valeurs qui les fondent. Croire que récupérer les djihadistes partis en Syrie et condamner Israël à la demande des pays musulmans dans toutes les instances internationales, leur vaudra un quelconque droit à reconnaissance, est parfaitement illusoire. Face à une dynamique totalitaire - et l'islamisme radical en est une -, le donnant-donnant ne marche jamais. Les islamistes prennent ce qu'on leur cède, mais n'attendent qu'une occasion de s'emparer du reste.

La conclusion de cette affaire est que l'islamisme est une dynamique résistible. Elle est faible devant les forts. Mais elle n'est forte que face aux faibles.

 

La source: lefigaro.fr

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